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Les peintres :

une évolution constante des techniques à la recherche de la réalité

     Comme l’avance Patrick Cavanagh, professeur à l’université Paris Descartes, qui dirige également le centre Attention et vision du laboratoire Psychologique de la perception, « D’une certaine façon, les artistes ont été eux-mêmes des pionniers de la science de la vision. Â» (cf. TDC n°1066 p.29).

     En effet, les artistes ont particulièrement été en avance sur leur temps, devançant souvent les recherches scientifiques concernant les mécanismes de la vision. Par exemple, le simple fait de dessiner les contours des objets avec des lignes nous permet de les reconnaître immédiatement. Cela est apparu instinctivement dans l’art rupestre, ayant pour support les rochers, et l’art pariétal, fixé sur les parois des grottes : les hommes du paléolithique supérieur traçaient un contour avec un bout de charbon pour représenter ce qu’ils voyaient. Nous avons ici l'un des nombreux dessins présents sur les parois des grottes de Lascaux, en Dordogne. Par la suite, ils ont su jouer avec les formes des parois, et l’on observe parfois le manque d’une partie des contours.

Le saviez-vous ?

 

Les matières colorées sont connues et utilisées depuis la préhistoire. On distingue les colorants, solubles dans l'eau, et les pigments qui ne le sont pas. Ces derniers sont par exemple utilisés dans la réalisation de peintures. 

Une matière colorée possède un système de liaisons conjuguées très important. Il s'agit de l'alternance entre des liaisons doubles et simples. On peut l'observer sur la représentation topologique d'une molécule de lypocène, un pigment rouge :

l’ombre propre, zone de l’objet qui n’est pas éclairée, et l’ombre portée, qui correspond à la zone privée de lumière située derrière l’objet. Ce principe sera particulièrement mis en avant dès le XVII° siècle. Roger de Piles en a d’ailleurs fait le croquis ci-contre en 1684, dans Clair Obscur. Auguste Renoir est l'un des artistes emblématiques du mouvement impressionnisme, datant de la deuxième moitié du XIX° siècle. Il n'utilisera presque jamais le noir dans ses Å“uvres, et rendra compte de la lumière avec des ombres colorées. C'est le cas dans le Bal du moulin de la Galette présenté ci-dessous. Cette huile sur toile, réalisée pendant ses débuts, date de 1876. Elle est actuellement au musée d'Orsay. 

     Les ombres constituent elles aussi un indice sur la perception, puisqu’elles représentent la profondeur et la luminosité. Techniquement, elles correspondent aux zones des objets qui ne reçoivent pas la lumière. On en distingue deux types différents :

     La complémentarité des couleurs a également été découverte de manière intuitive par les artistes. En effet, sa découverte 'officielle' par le peintre romantique Eugène Delacroix ne date que du XIX° siècle. La théorie de ce dernier sera étayée un peu plus tard par le chimiste français Michel-Eugène Chevreul. Il s’agit de la correspondance complémentaire de deux couleurs, diamétralement opposées sur le cercle chromatique, une représentation conventionnelle des couleurs réalisée par Newton au XVII° siècle. L’intérêt en peinture des couleurs complémentaires est l'apport d'un contrast très élevé : les couleurs complémentaire se mettent en valeur mutuellement. Ainsi, l’artiste flamand du début de la renaissance Van Eyck opposait déjà le rouge et le vert, deux couleurs complémentaires, dans son Retable de l’agneau mystique, achevé en 1432. Il s’agit d’un polyptyque, ensemble de 24 panneaux peints liés entre eux, comprenant des volets qui peuvent se replier sur la partie centrale pour la protégée. Une vue du retable ouvert est présentée ci-dessous. Les polyptiques sont généralement des Å“uvres religieuses, que l’on ouvrait le dimanche ou les jours de fête lors de la messe.

     Ensuite, c'est à partir de la renaissance que l'on commence à améliorer le système de perspective. Le but est alors de représenter des objets ou des espaces en trois dimensions, sur une surface place. On cherche à recréer l'illusion de l'espace et du volume, pour augmenter la vraisemblance de la scène. Pour cela, on utilise d'abord une perspective dite linéaire, ou fuyante,

qui consiste en un ou plusieurs points de fuite, auxquels convergent toutes les lignes du tableau. Léonard de Vinci y a en effet eu recours pour sa toile La Cène, réalisée de 1494 à 1497 : toutes les lignes du tableau se coupent en un point central, sur lequel est également positionné Jésus. On peut le constater sur la version dans laquelle apparaisent certaines de ces lignes ci-dessous. Il existe une autre forme de perspective, dans laquelle les droites parallèles restent parallèles : la perspective cavalière. Cette perspective n’est quasiment jamais utilisée dans la peinture occidentale, mais est très pratique en architecture puisqu'elle permet de mieux se figurer le rendu final. On l'utilise également en mathématiques pour la représentation des figures en trois dimensions. Les lignes situées derrière le plan principal sont alors en pointillés, comme par exemple sur ce cube.

Le saviez-vous ?

 

 

Aujourd'hui, de nombreux artistes réinvestissent ses techniques pour donner l'illusion de la profondeur. C'est le cas d'Adgar Mueller, Street artist qui trompe ses spectateurs avec des situations toujours plus vraisemblables. Cette oeuvre, réalisée dans les rues de Londres, fait partie de sa collection "The Caves" :

     Chercher à tromper le cerveau n’est pas récent : les artistes ont très tôt cherchés à coller le plus possible à la réalité, jusqu’au point de vouloir nous faire confondre Å“uvre et réalité. Il s’agit là du principe du trompe l’œil, art apparu dès l’antiquité. D’après la légende de Pline l’Ancien, son histoire commence avec Parrhasius, peintre du 1er siècle avant Jésus Christ qui excellait dans l’illusion de l’espace. Lors d’un concours contre son rival Zeuxis, chacun des deux peintres devait réaliser une toile toujours plus ressemblante à la réalité. Zeuxis présenta le premier une coupe de fruit d’un tel réalisme qu’il trompa même les oiseaux, venus picorer les grappes de raisin. Vient le tour de Parrhasius, et tout le monde attend que l’on soulève le rideau. Or ce dernier avait peint ce même rideau, trompant à la fois le jury et son rival. Aujourd’hui encore, les trompes l’œil sont particulièrement utilisés en décoration, avec de fausses moulures ou de faux matériaux, ... mais aussi des papiers peints tels que celui-ci qui créent de la profondeur et peuvent tromper le spectateur par leur vraisemblance.

     Les illusions d’optique, comme leur nom l’indique, concernent le système visuel. Ce sont des révélateurs des mécanismes de la vision, qui jouent avec la perception de la forme, de la couleur, ou du mouvement d’un objet. Elles peuvent survenir naturellement, ou bien être créées délibérément par un artiste pour interpeller son spectateur. La perspective paradoxale est par exemple une illusion qui crée des objets qui ont l’air réalistes, mais qui sont impossibles. L'image que nous avons choisie comme en-tête pour notre production en fait partie. Ce modèle de triangle a été créé par le mathématicien britannique Roger Penrose, qui lui a donné son nom dans les années 1950. A cette même période,  Escher joue lui aussi beaucoup avec ce type d'illusions dans ses réalisations. Il s’agit d’un artiste néerlandais du XX° siècle, dessinateur et graveur, qui crée des scènes rendues réelles, mais qui ne peuvent pas exister. C’est le cas de son Belvédère de 1958 : si l’on regarde les formes de plus près, on remarque des incohérences au niveau des colonnes mais aussi  concernant le cube impossible au bas de l'image. De plus, l'orientation des deux étages est contradictoire,  et

l'effet est augmenté par la position des

deux personnages qui se penchant au

balcon.

     C’est à cette même époque que naît le surréalisme, mouvement littéraire et culturel du XX° siècle qui libère la création de toute logique. Les artistes luttent alors contre les valeurs reçues et se libèrent de tout contrôle exercé par la raison. Le peintre belge René Magritte en est l’un des représentants, avec des peintures qui jouent sur le décalage entre un objet et sa représentation. Il cherche alors à interpeller le spectateur, et l’amener à la réflexion en perturbant son esprit. On retrouve ici la même recherche du surprenant que celle menée par Escher. Dans sa toile de 1937, La reproduction interdite, Magritte représente un homme de dos regardant un miroir, et dont le reflet est incorrect. En revanche, le reflet du livre est quant à lui vraisemblable, ce qui renforce l'incohérence de la composition. Il réalisera de nombreuses autres Å“uvres sur ce thème, créant en plus un décalage entre le titre de ses Å“uvres et les Å“uvres elles-mêmes. Pour lui, le titre doit illustrer l’œuvre et non l’inverse, c’est pourquoi il choisit les siens au hasard parmi les propositions de ses amis.

     De nombreux scientifiques se sont intéressés aux illusions d’optique, qui nous perturbent tout comme les oeuvre de Magritte, pour comprendre et révéler les mécanismes de la vision. En effet, elles constituent un vaste domaine d'étude, qui fait jouer de nombreux mécanismes du cerveau, puisque la vision en occupe un tiers. L’équipe de Susana Martinez-Conde, à l’institut de neurologie Barrow, en Arizona, a notamment démontré que plus les petits mouvements saccadés qui agitent les yeux sont fréquents, plus la perception du mouvement est forte. Ces mouvements volontaires des yeux sont dus à des contractions des muscles oculaires, dont une représentation est donnée ci-dessous, et sont essentiels à la vision : l’œil doit être mobile pour voir, et réalise environ 3 saccades pas secondes. L'oeuvre ci-contre, Enigma, réalisée en 1981 par Isia Leviant, permet par exemple de le confirmer. On y observe l’apparition de nuées sur les parties colorées de la spirale, qui sont dues à ces mouvements de l’œil. Un illusion d'optique, dont le fonctionnement n'est pas encore entièrement connu est donc crée.

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